Si dans l’article précédent, j’ai évoqué le contexte du Café Racer avec les Mod’s et les Rocker’s, là je vais surtout te parler de style et pas n’importe lequel : le style vestimentaire. Le style vestimentaire mérite un article complet sur le sujet tellement il est indissociable du mouvement Café Racer. Et puis que serait ce mouvement sans le style vestimentaire qui va avec ?
Avant d’évoquer celui du Rocker, il convient d’abord de traiter celui du Mod pour cerner la taille de la faille existante (ou plutôt du gouffre) entre ces 2 mouvements.
Le style du Mod
Issu essentiellement de la petite bourgeoisie, le Mod s’est crée un dress code qui lui est propre pour se reconnaitre avec ses pairs. Le mec porte des vestes cintrées avec des chemises ou des polos, coordonnés avec des pantalons tubes étroits et courts ou encore des jeans type 501 de Levi’s. Coté chaussures, il opte donc pour des pointues italiennes ou une paire de Clarks type Desert Boots.
La nana porte, quand à elle, porte des t-shirts à manches courtes (ou longues suivant la saison) avec des jupes ou des robes courtes. Le tout évidemment avec des couleurs vives ou pastel accordées selon l’humeur. Coté chaussures, elle opte pour des ballerines plates bien plus polyvalente que les chaussures à talons, idéales pour aller en “party” et danser avec ses amis.
Au fil du temps et de l’évolution du mouvement, lui finira par céder au costard et elle, au pantalon et/ou à la robe en dentelle.
Toujours tirés à 4 épingles, les Mod’s cultivaient leur propre culture du style.
Si on voudrait comparer le style d’un Mod à la tendance actuelle d’aujourd’hui, il se rapprocherait grandement du “casual chic”. Un style à base de pièces vestimentaires sobres et légèrement chics, sans tomber dans le style formel ou “business”, et qui constituent les basiques de la mode actuelle facilement trouvable dans les placards de Monsieur ou Madame tout le monde. Selon les passionnés et les spécialistes de la mode, les Mod’s auraient fortement influencé les générations suivantes en créant une réelle cassure avec tout ce qui était considéré comme une “norme” auparavant.
Le style du Rocker
Pour le Rocker, le style est totalement différent tout comme l’effet provoqué sur la société de l’époque. Même si l’idée de départ n’étant pas spécialement de faire peur, la presse s’emparera d’une image sombre et rebelle, qui malheureusement, marquera fortement les esprits.
Marlon Brando incarnera au cinéma le motard rebelle dans le film l’équipée sauvage. Le film sorti en 1953 aux USA sera interdit en Angleterre jusqu’au milieu des années 60.
Quoi de plus flippant de tomber sur une horde de personnes tout de noir vêtu ? Le pasteur Bill Shergold, créateur du Club 59 et qui s’était donné pour mission de rassembler tous les motards de Londres, garda visiblement un souvenir mémorable de sa première rencontre avec ces “Hooligan’s“. Je te cite un extrait de son récit :
“Me demandant quel genre d’accueil me serait réservé, j’enroulais un foulard autour de mon cou afin de cacher ma collerette. Juste après Staple’s Corner, je croisais environ une douzaine de motos rugissantes chevauchées par des personnages au look sinistre en blouson de cuir, qui allaient dans la direction opposée. J’étais mort de peur. Au moment où je passais en dessous des ponts de Stonebridge Park, j’étais tellement paniqué que j’accélérais à fond et m’enfuyais de l’Ace aussi vite que je pouvais.”
Mais pour en revenir à notre question de style, celui ou celle qui s’intéresse à l’aviation d’antan aura sûrement remarqué de nombreux points de détail qui sont communs entre le domaine de l’aviation et le Café Racer. Peut être que tu n’y a pas forcément fait attention, mais le style du Rocker est fortement influencé par l’aviation. Pour preuve, la plupart des pièces portées par les Rocker’s sont issues des magasins de surplus militaire débordants de stocks de la Seconde Guerre Mondiale. Point ou peu d’équipementiers dédiés à la moto à cette époque, mais de la tête au pied, ça respire surtout l’aviation. Et vu les conditions météo en Angleterre, l’intérêt de s’équiper en conséquence est tout à fait compréhensible.
Question de style, tout est là. Il suffit d’admirer – ou de se laisser cramer les rétines – avec la déco du pilote. Faut que ça brille !
L’exemple du dessus est sûrement l’un des plus parlant, alors voyons un peu ce que nous avons sur le stéréotype du Rocker en terme de style.
Pour le casque, le “full face” ou “intégral” n’existant pas du tout à ce moment là, le Rocker portait son choix sur du Cromwell, du Everoak ou encore sur le célèbre Aviakit Jet Super Trackstar (qui sera d’ailleurs en 1960 renommé “Super Jet”).
L’Aviakit Super Jet des Rocker’s. Avouons le mais quel look tout de même pour l’époque !
Pour se protéger les yeux et parfois juste pour le style, ces casques étaient portés en combinaison avec les fameuses lunettes à pans coupés typiques de l’aviation : les Stadium Mark VIII. Ces lunettes étaient utilisées par les pilotes d’avion de la Royal Air Force. Si la production des Stadium Mark VIII s’est arrêtée peu de temps après la Seconde Guerre Mondiale, leur sous traitant HALCYON – qui fabriquait la plupart des composants de ces lunettes – a repris le flambeau et continue de les commercialiser encore aujourd’hui.
Les mythiques Stadium Mark VIII de la R.A.F. aux cerclages de verres de couleur bleu et au cuir marron.
Juste un petit truc pour les amateurs / chineurs d’objets vintages : pour t’assurer que tu as bien une vraie paire de Mark VIII de la Royal Air Force dans les mains, vérifie si tu as bien la mention “A.M.” (pour Air Ministry). Si oui, un petit conseil : conserve les ! Elles prennent de plus en plus de valeur ;).
Pour se protéger la gorge ou le nez en hiver comme en été, le choix du Rocker se portait sur une écharpe en soie blanche à franges issue de … l’aviation. Évidemment ! Enroulée autour du cou et à moitié planquée dans le blouson, elle est un incontournable du style du Rocker. Une couleur blanche qui tranche donc complètement avec le blouson noir.
A propos du blouson, le Rocker a choisi un blouson en cuir d’aviateur typé “Perfecto” comme par exemple le modèle Bronx de chez Aviakit. Celui-ci était personnalisé suivant son propriétaire en y ajoutant des écussons de marques de bécanes et/ou d’huile, des pin’s, des tête de clous et/ou de mort ou encore des étoiles. En plus des nombreux zips présents de base sur le blouson, le Rocker choisissait à sa convenance, d’y ajouter des chaînettes chromées … histoire que la descente de la moto soit encore plus clinquante.
Le modèle Bronx de chez Aviakit est toujours commercialisé aujourd’hui par la marque Lewis Leather, détentrice initiale de la marque Aviakit.
Il arrivait parfois, avec des conditions météo pourries au possible comme seul les anglais les connaissent, que le Rocker troque son blouson en cuir contre un Belstaff Trialmaster ou un Barbour type A7 en coton waxé résistant mieux au climat insulaire de l’Angleterre.
Pour le bas, le Rocker avait opté simplement pour un jean à coupe droite comme le Levi’s type 501 ou un pantalon en cuir accompagné d’une paire de chaussettes hautes et blanches bien chaudes remontant par dessus les bottes. Concernant ces dernières, le Rocker s’équipait avec des bottes de la Royal Air Force en cuir noir avec une doublure en mouton retournée et maintenues aux pieds via des boucles de serrage.
Les bottes d’aviateurs de la R.A.F. réputées pour leur confort grâce à leur doublure en mouton retournée. Idéales pour rouler à moto par temps froid.
Après toute cette analyse, tu te demandes peut-être aussi pourquoi le Rocker s’est inspiré de l’aviation plutôt que d’un autre domaine ? A cela, il y a plusieurs raisons :
- la réelle utilité et la protection des pièces portées. Il faut dire que hormis le style conféré par ces pièces, elles ont un réel intérêt de protection pour l’usage moto.
- la facilité pour trouver ces équipements via les magasins de surplus militaire.
- le prix. Ces pièces étaient relativement bon marché et abordables pour la plupart.
Meme si dans lC’est ainsi qu’on peut interpréter d’une façon rationnelle le choix du style vestimentaire affichant une certaine forme de cohérence avec l’utilisation de la moto. Une cohérence que malheureusement, la société de l’époque interprètera à sa manière.
Ecrit par BrG.
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