
Présentée en 1948 à la demande des Sportsmen’s qui trouvaient que la nouvelle Rapide série B ne l’était pas encore assez, Philip Vincent – appelé aussi P.C.V. pour Philip Conrad Vincent – créa la Black Shadow.
Dérivée de la Rapide série B, cette moto bénéficiait de quelques améliorations supplémentaires, autant au niveau du look que des performances, apportant la touche de sportivité qui manquait à la Rapide. Tout du moins pour une certaine catégorie de motards.

La Black Shadow, première du nom, dérivée de la Rapide série B.
Pour voir les différences entre la Rapide et la Black Shadow, c’est un peu le jeu des 7 erreurs, du moins sur le plan esthétique car la Black Shadow n’est ni plus ni moins que la soeur jumelle de la Rapide. Mais le diable se cache dans les détails et il faut vraiment bien les observer pour les différencier.
Si on s’attarde sur le moteur, et notamment les ailettes, on remarque qu’elles sont polies et traitées par galvanoplastie pour leur donner cet effet noir et favoriser, selon P.C.V., les échanges thermiques. Le carter, lui, est émaillé de noir du plus bel effet pour s’accorder à la sublime robe dont cette Black Shadow s’est vêtue. Dans les entrailles du moteur, on peut apercevoir que les bielles et les culbuteurs ont été entièrement polis. Les pistons sont donnés pour un taux de compression de 7,3 : 1 et peuvent, en option, être remplacés par des pistons avec des taux de compression encore plus élevés. Au niveau de la culasse, les soupapes sont désormais rappelées par 3 ressorts concentriques au lieu des 2 que l’on retrouve sur la Rapide.
Afin de maximiser les performances ainsi que l’agrément de conduite, les éléments composant l’embrayage ont été allégés pour réduire l’inertie et faciliter encore plus le passage des vitesses. D’une manière générale, si on décortique cet embrayage à sec, on remarque qu’il est composé de 2 éléments principaux avec un embrayage monodisque qui exerce une pression pour entraîner le second embrayage composé lui même de 2 mâchoires qui se plaquent avec la force centrifuge lors de la rotation. Ce principe d’embrayage a pour avantage de pouvoir passer le couple important du moteur avec une certaine douceur.
Le détail de l’embrayage à sec accompagné des croquis extraits du brevet déposé par P.C.V.
Du côté de l’admission, les tubulures ont été réétudiées pour limiter au maximum le cheminement des gaz. Aussi, celles-ci furent équipées au passage, de raccords spéciaux en bronze afin de pouvoir y monter des carburateurs Amal de 28,2 mm en remplacement des 27 mm que l’on retrouve sur la Rapide.
Le bloc moteur de la Black Shadow. Massif !
Parmi les détails intéressants et pour le coup totalement invisibles par l’acquereur d’une Black Shadow : leurs magnétos étaient vérifiées en laboratoire à l’usine avant d’être montées sur les motos, ce qui ne semblait pas être le cas pour les Rapide’s.
Du côté de la partie cycle et notamment du freinage, les tambours de freins nervurés sont fabriqués en fonte tandis que les garnitures MR 41 les équipant sont fabriquées par Ferodo. Pour compléter la partie freinage, le câble de frein avant est un Bowdenex.
Sur le plan esthétique, le compteur de vitesse de 125 mm de diamètre gradué jusqu’à 150 miles par heure – soit environ 250 km/h – est disposé sur son support presque à la verticale afin de permettre une lecture à n’importe quelle vitesse y compris avec le nez dans le guidon.
Le poste de pilotage et la partie arrière de la Black Shadow.
En comportement dynamique, tout comme la Rapide, la Black Shadow est capable de monter très haut en vitesse tout en restant souple et facile à emmener au quotidien. Facile également à démarrer, peu capricieuse et capable d’une grande rapidité, elle reste parfaitement adaptée aux grands trajets grâce à son excellente stabilité.
En parlant de stabilité, si la Rapide Série B était déjà un modèle dans son genre, la presse a pu tester une Black Shadow dans ses derniers retranchements en la poussant au-delà des 200 km/h, 206 km/h pour être plus précis. Le journaliste nous livre ses impressions, il raconte :
« Nos chronos sont en place, et je repars. Première jusqu’à 70, seconde jusqu’à 100, troisième à 130 et j’enclenche la 4ème. Tout de suite, on a l’impression d’une puissance formidable car la poignée est à peine ouverte à moitié. Ayant assez de lancement, je vire et prends la direction du retour. Ayant facilement tourné en 1ère dans la largeur sans toucher au débrayage, de la pointe des bottes je fais basculer les repose-pieds arrière qui vont me servir pour adopter une position couchée ; m’éloignant du guidon, je m’assois sur l’arrière de la selle biplace et passe les vitesses. Dans cette position, la tenue de route est parfaite et le pilote ne doit lutter contre aucune réaction désagréable ou dangereuse. On se rend même difficilement compte de la vitesse malgré l’allure où défile le paysage.
Je suis maintenant à fond et la vitesse commence à se stabiliser. Le compteur dépasse 190, puis l’aiguille atteint le chiffre 200 et le dépasse nettement. J’aperçois mes collègues, la camionnette arrêtée sur l’herbe, Garreau et Lefèvre, tout cela passant en quelques secondes devant mes yeux. Mais la route amorce une courbe à grand rayon ; je coupe plutôt par réflexe mais aussitôt je « remets toute la sauce ». L’inclinaison doit être forte et j’arrive à ras de la route mais ça tient toujours bien et je continue. Après avoir prudemment passé le raccordement qui fait passer la route unique à la portion à double voie, montante et descendante, je remets tous les gaz et j’avale la descente ; la vitesse monte et les 200 sont largement dépassés sur le compteur ; la stabilité est toujours aussi grande. La seule sensation peu agréable est celle que l’on éprouve en se redressant pour reprendre une position normale.
J’ai hâte de connaître le résultat : 206, m’annoncent mes collègues. Le compteur est donc juste et me voilà certain d’avoir dépassé sur deux roues ce chiffre fatidique. Mais la stabilité de la Vincent H.R.D. est telle que c’est une performance à la portée de tout motocycliste un peu habitué à la vitesse. »
En position d’attaque, le journaliste se lance à plus de 200 km/h au guidon d’une Black Shadow.
Mais tout ceci n’était rien en comparaison de ce qu’allait réaliser un pilote en mal de défi situé de l’autre côté de l’Atlantique. Le 13 septembre 1948, Roland F. Free dit « Rollie », établit sur le lac salé de Bonneville le record de vitesse américain à la vitesse de 241,905 km/h – soit 150,313 mph – au guidon d’une Black Shadow préparée et dépouillée de sa selle mais pas seulement. En fait, cette moto aurait été une première esquisse de la Black Lightning – bien avant que Vincent H.R.D. ait l’idée de la commercialiser – sortant 25 CV de plus et pesant une bonne quarantaine de kilos en moins environ. Cette moto fut créée spécifiquement pour John Edgar, un sportif hollywoodien dont Roland F. Free était proche et qu’il avait réussi à embarquer avec lui dans son aventure.
La photo mythique de Rollie en train de d’établir le record de vitesse sur le lac salé de Bonneville ainsi que des moments capturés lors de la préparation.
Si lors des premiers essais, Rollie se rendu compte que sa combinaison était un frein potentiel pour abattre le record de vitesse malgré la position allongée comme un plongeur souhaitant piquer une tête, il décidera de tout enlever et de garder le strict minimum : un casque, un short de bain de type « speedo » et une paire de baskets. Fou ? Sans aucun doute ! La chute n’était pas permise et encore moins sur un lac salé. Mais le résultat sera à la hauteur du risque encouru avec la plus grande vitesse atteinte pour l’époque au guidon d’une moto sans compresseur et accessoirement, sans selle.
La marque Vincent H.R.D. étant alors très peu connue jusqu’à ce record outre-atlantique, elle devient grâce à cet évènement, une marque reconnue et prisée dans le monde de la moto. Inutile d’évoquer le coup de pub monumental qui sera occasionné au passage grâce à ce record, tant bien que la marque Mobiloil – qui parraina l’évènement – ira jusqu’à reprendre cette photo pour en faire la promotion de son huile.
1949, la Rapide série C et la Black Lightning
Fin 1948, Vincent H.R.D. présente une nouvelle version de sa Rapide et de sa Black Shadow avec la série C.

La Vincent H.R.D. Rapide série C.
Par rapport à la série B, la partie cycle évolue encore vers encore plus de confort et de stabilité. A commencer par la fourche avant qui passe sur une version hydraulique de la « parallélogramme », baptisée Girdraulic, « Gir » étant la traduction de « guider » et « draulic » pour « hydraulique ». Qu’est-ce donc ? Ni plus ni moins qu’une fourche parallélogramme sur laquelle ils ont intégré un amortisseur hydraulique. Les bras de la fourche sont articulés via des biellettes avec des bagues en bronze phosphoreux « auto-graissées » qui selon la marque, ne nécessite qu’un réglage uniquement sur de longs intervalles et semble de prime-abord assez aisé à réaliser.
Le détail de la fourche avant et ses possibilités de réglages pour une utilisation en side-car.
Le réglage des biellettes supérieures se fait par contre-écrous et écrous tandis que pour les biellettes inférieures, cela s’opère avec des rondelles. Les ressorts sont logés dans des tubes qui relient les pattes de fourche au té inférieur de direction. Quant à l’amortisseur hydraulique, il occupe la même place que le ressort central d’une fourche ordinaire. Concernant le réglage, un dispositif par excentrique permet de faire varier la chasse ainsi que la pression des ressorts lors d’une utilisation en side-car.
Cette nouvelle fourche apporte un réel plus dans la tenue de cap. Si avec la fourche parallélogramme classique la tenue de route était déjà très correcte, avec cette nouvelle fourche, elle est encore améliorée. Les journalistes de l’époque expliquaient qu’avec la Girdraulic ils n’avaient plus besoin de forcer pour inscrire la moto dans une courbe et que la stabilité passée les 150 km/h se révélait sûre même à 2 sur la moto.
Bien évidemment dire que la tenue de route fût grandement améliorée uniquement grâce à la Girdraulic serait faux. La suspension arrière fut également retravaillée pour apporter une meilleure stabilité grâce à l’ajout d’un amortisseur hydraulique qui vient se loger entre les 2 ressorts de suspension initiaux.

La nouvelle suspension arrière avec son amortisseur hydraulique ajouté.
Ce rajout a, sans aucun doute, contribué à l’augmentation du confort et de la stabilité de la partie cycle dans sa globalité en apportant une progressivité inconnue jusqu’alors. Pas sûr que Vincent H.R.D. aurait eu le même résultat en utilisant uniquement la Girdraulic. Avec de telles modifications, cette nouvelle série C fait mûrir encore un peu plus la conception initiale de P.C.V.
Hormis ces nouveautés sur la Rapide série C, et si la Black Shadow avait une vocation de routière / sportive, cette même année Vincent H.R.D. dévoile une version course de cette dernière : la Black Lightning. Une moto inspirée de celle utilisée par Roland F. Free pour abattre le record de vitesse américain quelques mois auparavant et produite en série limitée au prix délirant de 508 livres en incluant les taxes.

La Black Lightning, la version course de la Black Shadow série C.
Malgré certaines similitudes avec la Black Shadow, cette machine de course développe non loin de 80 CV et n’est pas utilisable sur route ouverte. Elle se distingue toutefois sur de nombreux points par rapport à celle-ci, à commencer par le moteur étant donné que la distribution comporte des cames à levée rapide différentes de la Black Shadow.
Du côté de l’admission, la Black Lightning troque ses carburateurs Amal d’origine pour des Amal TT 10. La magnéto est une Lucas spécialement conçue pour la compétition équipée d’une avance réglable à la main. Le silencieux a été supprimé pour freiner le moins possible les gaz et chaque cylindre possède sa propre tubulure d’échappement. Comme pour d’autres fabricants de machines de course, la marque a mis à disposition de ses clients une gamme de pistons permettant l’emploi de différents carburants avec des rapports volumétriques allant de 7,3:1 pour l’essence à 70% d’octane jusqu’à 13:1 avec du méthanol. Aussi, l’étagement de la boîte de vitesses a été revu spécialement pour ce modèle et afin de compléter la préparation, un nouvel embrayage à disques flottants fut développé en collaboration avec Ferodo. Dans cette optique de compétition, la Black Lightning se voit équipée d’office d’un compte-tours gradué jusqu’à 8000 tr/min dont l’entraînement se situe dans le carter de distribution.
Pour gagner du poids, le kick a été supprimé alors que le sélecteur, quant à lui, a été allégé et adapté en fonction des reposes-pieds, qui ont eux-mêmes été reculés. Dans le même esprit, les jantes sont fabriquées en alliage léger et sont toujours équipées de pneus AVON avec à l’avant un pneu strié de 3,00×21 pouces et un pneu à pavés de 3,50×20 pouces pour l’arrière. Les garde-boues, eux, sont toujours fabriqués en Duralumin et ont été redécoupés pour minimiser le poids. Les flasques de freins sont fabriqués en magnésium et les tambours nervurés en alliage léger sont équipés de frettes en fonte. Aussi, le double frein avant se voit être équipé d’évents d’aération pour dissiper au maximum la chaleur produite lors des gros freinages. Du côté de l’assise, la selle double Feridax Dunlopillo Dualseat d’origine de la Rapide a, au passage, subi le même régime que le reste de la moto et a été redessinée pour gagner en mobilité.
Toutes ces optimisations permettent donc à la Black Lightning de faire chuter son poids à 170 kg contre 208 kg pour une Black Shadow. Un excellent régime qui portera ses fruits étant donné que le pilote néo-zélandais, Russel Wright, établira le 02 juillet 1955, un record mondial de vitesse sur la Tram Road de Swannanoa près de Christchurch en Nouvelle Zélande, à la vitesse ahurissante de 185,15 mph – soit 298 km/h – au guidon d’une Black Lightning carénée comme un streamliner.
1954, la Rapide série D, la Black Knight et la Black Prince
En 1954, Vincent H.R.D. présente une mise à jour de sa Rapide et de sa Black Shadow en intégrant quelques modifications, ce qui donnera naissance à la série D. Plus confidentielle que les séries précédentes du fait de sa courte existence, elle reste néanmoins synonyme de l’aboutissement ultime de la vision de Philip Vincent à propos de sa vision de la moto.

La Black Shadow de 1954 dérivée de la Rapide série D.
Au niveau de la carburation, chaque cylindre de cette série D est toujours alimenté par son propre carburateur mais à la différence de la Rapide série C, elle embarque avec elle des Amal Monobloc – toujours en 27 mm – en remplacement des Amal à cuves séparées et des 28,6 mm pour la Black Shadow.
Aussi, l’allumage qui était assuré auparavant par une magnéto à avance automatique sur la Rapide série C a été remplacé par un allumage batterie-bobine sur la série D.

L’éclaté de ce moteur colossal qu’est celui de la Rapide série D.
Sur la question de la puissance, la Black Shadow développe 55 CV à 5700 tr/min. Ce n’est certes pas très puissant pour une puissance ramenée au litre même pour l’époque mais c’était tout de même l’équivalent d’une 500 cm3 « compétition-client ». Avec une puissance disponible au 2/3 du régime de cette dernière, une courbe de puissance relativement plate ainsi qu’une courbe de couple 1,5 fois plus élevée, ces valeurs révèleront finalement une puissance peu exploitable pour la plupart des pilotes de l’époque. Si on la compare à la Rapide, cette dernière ne développe « que » 45 CV à 5200 tr/min avec un couple max de 7,4 mkg qui se situe aux alentours des 3900 tr/min.
La boîte de vitesses à 4 rapports est dotée d’un étagement digne d’une machine de course avec un premier rapport relativement long en comparaison des autres. Si on analyse l’étagement de la Black Shadow série C, on remarque qu’il est le suivant en partant du 4ème vers le 1er rapport avec 100 % / 84 % / 62,1% / 48,3% et si on le compare à un étagement plus « classique » pour une cylindrée pareille on aurait en théorie quelque chose de l’ordre de 100 % / 76 % / 57% / 36%. De plus, si en toute logique le rapport entre les démultiplications de 2 vitesses successives est censé croître progressivement lorsque de l’on part de la 4ème vers la 1ère, ici on note un écart important entre le 2ème et le 3ème rapport – les rapports entre les démultiplications sont les suivants avec 4ème/3ème = 1,19 puis 3ème/2ème = 1,353 et on retombe à 1,286 pour le rapport 2ème/1ère – mais vu la puissance et le couple de ce moteur, le trou est quasiment imperceptible. Cependant, Vincent H.R.D. a jugé bon de corriger ce défaut sur la série D avec une première plus courte portant alors le premier rapport à 38,4 % et rééquilibrant le rapport de démultiplication entre la 2ème/1ère à 1,615 au lieu de 1,286 pour retomber sur une progression normale.
Du côté de la partie cycle, le cadre fut modifié notamment au niveau de la poutre centrale qui accueillait initialement le réservoir d’huile. Cette poutre, faisant jonction entre la colonne de direction et la suspension arrière, fut retravaillée pour plus de robustesse. Le réservoir d’huile d’une contenance de 3,4 litres, alimentant le moteur sous basse pression avec un débit de 4,5 l/h à 1000 tr/min, fut quant à lui, déplacé sous la selle. La suspension arrière a elle aussi évoluée sur la série D avec le remplacement des 2 ressorts et de l’amortisseur hydraulique par un seul et unique élément beaucoup plus compact. Doté d’un débattement de 15 cm et d’une articulation montée sur roulement à rouleaux Timken, ce nouvel élément apporte encore plus de progressivité à l’amortisseur hydraulique qui y est incorporé.

Le détail de la nouvelle suspension arrière développée par Vincent H.R.D.
Les roues, montées sur des broches de 19 mm et toujours équipés de roulements coniques Timken, diffèrent également entre la série C et la série D : la jante arrière passe de 19 à 18 pouces et la jante avant passe de 20 à 19 pouces. Parmi les autres détails, on note que le guidon passe de 65 cm de longueur à 67 cm et que les béquilles avant et arrière disparaissent au profit d’une béquille centrale avec un long levier de manoeuvre.
A propos de cette nouvelle série D, et juste avant le salon d’Earls Court de 1954, Philip Vincent expliquait à la presse moto anglaise sa vision future de la moto ainsi que de la protection du pilote dans le paysage routier anglais dont voici un extrait :
« Tout d’abord, je dois dire que l’idée de cette série D ne m’est pas venue soudainement. J’ai toujours trouvé quelque chose d’inachevé dans l’aspect de nos machines actuelles qui, de plus, sont d’un pilotage préjudiciable à la propreté du vêtement de leur pilote. C’est un fait avéré que le motocycliste (et par voie de conséquences le constructeur) recherche un dessin de sa machine le plus net et le propre possible. Pour ce faire, on élimine les accessoires déplaisants ou on les cache, au lieu de recouvrir le tout d’un carénage. Le motocycliste préfère ainsi porter sur lui des vêtements protecteurs au lieu de trouver cette protection sur sa machine et il s’est résigné à accepter une motocyclette sur laquelle rien de sérieux n’est prévu pour le transport éventuel de bagages. Sous ces trois angles – esthétique, protection et transport de bagages – la moto est très en retard par rapport à la voiture. Et ceci s’explique peut être par le fait que l’on s’est plus attaché à l’étude de la moto sous un angle sportif au détriment des exigences du tourisme et de l’utilisation de tous les jours. Mon plus grand désir a toujours été de faire des machines rapides, luxueuses et aptes au grand tourisme à allure rapide. Il y a 21 ans, en 1933, je présentais mon premier modèle entièrement caréné mais à cette époque 2 nouveautés à la fois sur une même machine (carénage et suspension intégrale) pouvaient difficilement être acceptées par le public. J’ai pensé que la suspension était le détail le plus interessant et j’ai supprimé le carénage pour consacrer mes efforts à la popularisation de la suspension arrière. Après la sortie des séries B et C d’après guerre avec lesquelles on approchait de très près le maximum des possibilités mécaniques de la moto, le problème de la protection du pilote devenait urgent. Ces 2 dernières années, j’ai revu de près les machines de la série C et j’ai décidé que le futur verrait en même temps qu’une amélioration de la supension et de la tenue de route, un carénage total donnant une protection parfaite du pilote. Et ceci, je voulais l’obtenir sans rien sacrifier des qualités de conduite et de sécurité de la moto, même au prix de longues recherches. Les 9 premiers mois furent consacrés à l’amélioration des suspensions et des test préléminaires avec un carénage de la moitié arrière de la machine. Nous avons augmenté le débattement et la douceur des supensions et des amortisseurs jusqu’à ce que la comparaison avec le confort d’une voiture de luxe nous soit favorable. En même temps, la tenue de route et l’agrément de conduite furent améliorés afin d’annuler les effets défavorables de l’adoption de pneus de plus grosse section. Ceux-ci que nous allons monter en série – 4,00×18 pouces à l’arrière et 3,50×19 pouces à l’avant – font un plus long usage allié à un confort accru tout en donnant une meilleure esthétique. Le carénage de l’arrière était bon et n’avait pas d’influence néfaste sur la conduite : nous étions prêts pour le 2ème stage de l’opération. L’un de mes premiers soucis fut ensuite de réunir le maximum de renseignements sur les modifications ou les améliorations que désiraient les motocyclistes. Je notais avec plaisir que nombreux étaient ceux qui étaient partisans du carénage et plus ou moins d’une protection du pilote. Encouragé, ceci ne pouvait que renforcer mon opinion et me faire aborder le problème du carénage avant tout en protégeant efficacement le pilote sans perdre au point de vue légèreté, sûreté de controle et même dans une certaine mesure, accessibilité. Ceci ne fut pas très facile à obtenir et demanda une grande patience, parfois même un grand courage de la part de Ted Davis, ingénieur de recherches et essayeur qui pilota les jours de grand vent. Nous connaissons maintenant les résultats. Les machines carénnées de la série D sont plus faciles à conduire que celles de la série précédente mais je sais très bien qu’il y aura encore bien des choses à revoir en ce qui concerne les garde-boues, pare-jambes, pare-brise et 1 ou 2 des prototypes n’étaient pas d’une conduite très joyeuse quand il y avait du vent. Le test final et probant en ce qui concerne la conduite et la protection fut réalisé encore par Ted Davis qui monta dans le Northumberland, le jour où une véritable tempête s’abattit sur la ville de Newcastle lors de la visite de Sa Majesté la Reine. Le vent était si fort qu’il provoqua la chute d’un motocycliste juste devant Davis, alors que celui-ci de son côté, pouvait encore contrôler sa machine sans grosses difficultés. De plus, il pilota dans une pluie torrentielle sans lunettes et les pieds au sec grâce aux pare-brise et pare-jambes. La découverte du matériau relativement nouveau qu’est la fibre de verre m’a été évidemment d’un grand secours. Sa légèreté, sa grande résistance, sa résilience le rendent particulièrement apte au moulage de surfaces courbes. La fibre de verre possède aussi la propriété d’être insonore ce qui donne une machine silencieuse pendant que le pare-brise empêche le vent de siffler aux oreilles du pilote, celui-ci flotte alors dans une « aura » de silence et de confort que devraient démentir les indications du compteur ! Au premier abord, l’allure des séries D peut paraître étrange mais je pense que l’on s’y habituera. Et ce sera peut-être l’avant-garde vers la motocyclette future. »

La Vincent H.R.D. série D dans sa version carénée.
Si la Black Knight correspond à la version carénée de la Rapide série D, la Black Prince correspond à la version carénée de la Black Shadow. Selon Philipp Vincent, ces versions deviennent les versions ultimes de la Rapide et de ses dérivées.
Au niveau de l’utilisation quotidienne, hormis une souplesse du moteur très limitée en ville, une durée de vie relativement courte du pneu arrière dû au gros couple du moteur et un problème de suintement d’huile qui arrose en partie l’arrière de la moto en roulant, aucun autre défaut ne semble remonter de la part des clients.

Rare image d’une Black Shadow démarrant à la poussette. Une simple panne de batterie, pour le reste c’est une moto fiable.
Cette moto était extrêmement bien née, pensée dans les moindres détails et les rares propriétaires fortunés semblaient être content au point de ne pas vouloir revenir sur une moto de conception plus classique de l’époque.
1955, l’arrêt de la production
En octobre 1955, le grand public apprenait via la presse spécialisée la triste nouvelle : la fin de la production de l’ensemble des motos de la marque dès le mois de décembre suivant. La clientèle habituée, participant au rally annuel ouvert aux possesseurs des différents modèles de Vincent H.R.D., apprit la nouvelle via le directeur des usines qui s’exprima directement à ses clients sur l’arrêt de la production durant le rally.
La marque fut forcée de prendre cette décision notamment sur le plan économique et cela se doit à plusieurs facteurs à prendre en ligne de compte : le premier est notamment l’avènement de l’automobile qui est devenue bien plus accessible au grand public. Pour le prix d’une Black Knight en 1954, le client pouvait se payer à la place une petite voiture populaire avec les avantages qu’on lui connait. En se replaçant dans le contexte de l’époque, il s’agissait d’une véritable révolution. Le second est tout simplement la valeur marchande de la moto en elle-même. Une Rapide vendue 128 livres en 1939 aurait dû avoir une côte montante qui se situait autour de 550 livres en 1954 mais on en était loin, tout en sachant qu’une Black Knight dans sa dernière livrée – toute équipée de ses options – se vendait à peine à 348 livres et en plus à perte pour l’usine. Dans ce contexte économique en pleine révolution pour le marché de la voiture et de la moto, il devenait impossible pour la marque de se repositionner financièrement.
Ce faisant, le 16 décembre 1955 l’usine Vincent H.R.D. ferme définitivement ses portes. Après 28 années d’existence, la marque participa à de nombreuses compétitions tout en remportant de nombreux records nationaux dont un record mondial évoqué plus haut avec la Black Lightning.
L’ère des préparateurs
Après la fermeture de l’usine, au milieu des années 60, un pilote de course de côtes Suisse nommée Fritz Egli se penche sur la Black Shadow mais ne trouve pas la partie cycle à son goût. Selon lui, même si la base moteur est correcte, la partie cycle a trop de masses non-suspendues et la moto à tendance à être instable lorsqu’elle rencontre des irrégularités trop importantes sur la route. C’est alors qu’il décide un jour de remplacer le cadre initial par un cadre de sa propre conception.
Le cadre, dans sa globalité, est fabriqué en tube acier rond de 22 x 2,5 mm tandis que le bras oscillant est fabriqué en tube acier profilé de 3,5 mm d’épaisseur. Le réservoir d’huile d’origine faisant partie intégrante du cadre de la série C, quant à lui, est remplacé par un tube de grosse section en acier. La fourche avant d’origine, tout comme la suspension arrière, sont remplacés par des éléments de chez Ceriani. Du côté du freinage, la conception de chez Egli intègre, en remplacement des freins d’origine, des doubles freins à disque de chez Oldani ou Fontana pour les versions routières et pour les versions de course des éléments de chez Campagnolo.
Mais Fritz Egli n’en reste pas là et s’attaque également au moteur. Il commence par retravailler les culasses en réglant le problème de suintement d’huile qui arrose l’arrière de la moto et les bougies en roulant à faible vitesse. Les paliers de culbuteurs sont rallongés et les culbuteurs, quant à eux, sont allégés de 20% environs. Aussi les guides des soupapes sont modifiés pour être plus hauts que les modèles d’origines. Fritz Egli modifie également les cames qui, sur les modèles d’origine et notamment la Black Lightning, entraînaient une remontée très rapide des soupapes à haut régime occasionnant une usure importante. Avec un profil redessiné, ces cames corrigent ce problème et permettent au moteur d’avoir de la puissance ainsi que du couple tout en bénéficiant d’une grande elasticité. L’autre problème corrigé concerne les roulements d’origine du vilebrequin et notamment ceux de la Black Lightning à nouveau, qui sont alors modifiés et sécurisés. Il s’avère que les roulements d’origine, passé les 6000 tr/min, engendraient des vibrations qui, à répétition, avait une répercution sur le vilebrequin entrainant alors la désolidarisation des bagues extérieures des roulements. Aussi le vilebrequin en lui même a été modifié avec un maneton plus épais de 4 mm et certains composant du vilebrequin proviennent de chez Norton, et notamment de la Manx, sur fabrication spéciale. Du côté de la carburation, les carburateurs Amal d’origine sont remplacés par des Dellorto. Avec toutes ces modifications, ces préparations permettent au moteur de touner entre 6800 et 7000 tr/min en développant une puissance de 75 CV environ.
Pour compléter ses préparations notamment sur les modèles de course, Fritz Egli remplace l’embrayage et retouche la démultiplication finale. L’embrayage d’origine de la Black Lightning est remplacé par celui qui équipe la Norton Manx et le rapport de démultiplication final est revu en conséquence pour être adapté non seulement à l’embrayage mais aussi au type de course visé. Sur les modèles routiers, seul le rapport de démultiplication final est retouché pour être adapté à la nouvelle puissance.
Les préparations de chez Egli sont toutes équipées d’un réservoir d’essence en plastique afin d’alléger encore plus la moto. Sur cette question du poids, celui-ci tombe à 163 kg à sec dans sa version routière et 140 kg à sec pour la version de course, soit 30 kilos en moins par rapport à la Black Lightning.
Une Black Shadow modifiée par Fritz Egli.
Ces améliorations assurent à Fritz Egli et à ses conceptions, un certain succès en compétition. Reconnu pour cela dans le monde entier, et également sur d’autres bases que la Black Shadow, Fritz Egli arrête sa production au milieu des années 90.
Mais en parallèle, un autre pilote passionné et engagé en compétition travaille sur sa Black Shadow pour la rendre plus performante : Patrick Godet. Au milieu des années 90, il présente son travail à Fritz Egli pour avoir son avis sur sa préparation. Impressionné par son travail, ce dernier lui autorise à recréer la partie cycle qu’il avait lui-même développé presque 30 ans auparavant. C’est ainsi qu’au début des années 2000, Patrick Godet crée Godet Motorcycles, un atelier spécialisé dans la restauration et la préparation des Vincent H.R.D. En s’associant avec Jacques Burchoux, spécialiste de la production de pièces mécaniques, il peut alors développer sa propre conception sur base des moteurs de la marque en passant la cylindrée de 998 cm3 à 1330 cm3. En 2005, le chanteur français Florent Pagny, passionné par les modèles de la marque, reprend les parts Jacques Burchoux pour s’associer avec Patrick Godet et suite au décès de ce dernier, il reprend intégralement l’atelier. Aujourd’hui, Godet Motorcycles fabrique également des modèles neufs basés sur des moteurs Vincent/Godet de 1330 cm3 pour les Sport GT et Café Racer et de 500 cm3 pour les Grey Flash et Racer 500.
Grâce au travail de cet atelier, les travaux entrepris il y a plusieurs décennies par Philip Vincent perdurent dans le temps. Selon sa propre vision de la moto, en sortant des sentiers battus, Philip Vincent pu mettre en avant de nouvelles technologies pour une moto qui se voulait meilleure au quotidien tout en faisant évoluer son monde. A l’image de nombreux visionnaires acceptant de se soustraire aux règles préétablies de ce monde, leurs idées ont pu engendrer une révolution dans leurs domaines. Cependant, malgré les avis extérieurs divergents, il reste propre à chacun de considérer et d’honorer sa réussite.
Ecrit par BrG.
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